Eve Risser : piano (préparé)
Préparer son piano est une
discipline qui doit être passionnante. Inventer des sons, trouver des astuces,
se bricoler une originalité, une signature. J’imagine l’étendue des
possibilités qui s’offrent aux pianistes qui se décident à aller voir ce que
leur piano a dans le ventre. Depuis John Cage on a pu entendre des choses
magnifiques, et nombreux sont les musiciens qui excellent dans cette pratique.
On pense notamment à Benoît Delbecq, Delphine Dora… et Eve Risser.
On garde en tête le fantastique
album En corps où elle utilisait un nombre impressionnant d’effets acoustiques
pour alimenter un trilogue passionné et aventureux avec deux autres mages du
son et de l’hors-cadre, Benjamin Duboc et Edward Perraud. Comme une continuité
de ce disque et une suite logique de ses travaux personnels, Des pas sur la
neige prolonge et renouvelle le plaisir que constitue pour l’auditeur l’immersion, que seule
une totale disponibilité permet, dans l’univers ô combien singulier de la
pianiste.
Le disque, paru récemment chez
Clean Feed, est composé de trois pièces relativement longues, ce qui n’a rien
de surprenant tant cette musique a besoin d’espace pour exister. D’espace et de
temps, car sa force, comme la transe, n’advient que par l’exploration en profondeur
de situations de jeu, de climats. Pour se créer des champs expressifs, la
pianiste a recours à une multitude d’effets, obtenus par l’usage d’objets
divers. De son piano s’échappe des nappes, des sons lointains et continus, des
bruits de percussions, parfois timbrés et accordés, parfois simplement dus à
des frappes à même le cadre, des cordes frappées du plat de la main. Il y a je
crois des gongs, des ressorts et des ventilateurs, des morceaux de bois, des
e-bows et du papier aluminium, des billes en verre, des brosses à cheveux et
des gobelets en plastiques. Enfin, je dis ça, je n’en sais rien, croyez-moi.
Mais j’imagine à l’écoute de ces fresques en trois dimensions (magnifique
spatialisation du son), créées par Eve la magicienne, qui du bout de sa
baguette donne vie à une foultitude de petites machines à sons, telle Mickey
dans Fantasia, à ceci près qu’ici c’est le son qui créé l’image, et non l’image
qui illustre le son. Le piano devient un orchestre de bric et de broc d'où émane une musique très centrée, cohérente, qui nous happe et nous tient en haleine. Les pas sur la neige, les pas dans la ville, la neige sur la ville... trois histoires à inventer sur une bande-son tout à la fois, même si c'est paradoxal, étale et chatoyante.
Au cœur de cette jungle sonore,
de cette superposition de textures, des chapelets de notes s’envolent des
cordes restées libres, fragments mélodiques pareils à quelques éclaboussures de
réalité au beau milieu d’un songe. Ce disque est impressionnant mais ça n’a pas
d’importance. Il est unique, déstabilisant et d’une indescriptible beauté.
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